Parfois j'obtiens des résultats assez satisfaisants : par exemple, je ne suis pas peu fier de ma réputation professionnelle de glandeur et de "débaucheur" patenté. Il faut dire que le milieu du travail actuel s'y prête bien, puisque l'une des principales évolutions récentes a consisté à rendre les salariés "pleinement responsables" de leur boulot, autrement dit à les faire culpabiliser dès qu'ils ont l'impression d'être moins bon que le collègue (qui a d'ailleurs l'impression inverse). Ça donne sans doute de bons résultats, mais c'est parfois dangereux pour ceux qui s'y impliquent trop. Bref, je fais de la résistance sournoise à la culpabilisation professionnelle de mes collègues, et j'avoue en tirer un malin plaisir quand ça marche ... Voilà, maintenant tout le monde sait que les points de croissance qui manquent à la Patrie, c'est moi ! Quel sale anarchiste je fais.

Mais, me direz-vous, car vous êtes un lecteur curieux (sinon vous auriez déjà abandonné), comment est-il possible que des employés sérieux se laissent pervertir l'esprit par un branleur tel que moi ? En fait, c'est une question que je me pose. Étrangement, il semblerait que certaines personnes me considèrent paradoxalement comme quelqu'un d'assez consciencieux, ayant même le sens des responsabilités (si si, je vous jure ! attention, je n'ai pas dit "travailleur", n'exagérons rien). Ce n'est qu'une hypothèse bien entendu, mais elle aurait le mérite d'expliquer le crédit qu'on accorde à votre serviteur : si mes collègues constatent que je fais à peu près correctement mon job sans me prendre la tête avec toutes sortes de scrupules (il y aurait matière pourtant : retards fréquents, compétence aléatoire, lenteur, productivité médiocre, etc.), alors ils se sentent un peu moins obligés de tenter de ressembler à l'employé modèle (le mimétisme social est une arme redoutable de tous les DRH du monde).

Mais alors, me direz-vous, car vous êtes décidément un lecteur très curieux (ou alors je parle dans le vide depuis un moment), comment se fait-il que je parvienne à combiner dans le travail ces deux traits de caractère apparemment contradictoires : sérieux et absence de scrupules ? Je crois qu'il y a deux réponses possibles. La première, c'est que je serais un type équilibré, qui a une conscience professionnelle, mais qui ne souhaite pas pour autant consacrer sa vie au boulot. Bon, je reconnais que l'hypothèse "équilibré" est assez osée dans mon cas. La seconde, c'est que je triche plus ou moins : en gros, je culpabilise autant que la moyenne sur la qualité de mon boulot (bon ok, un peu moins), mais contrairement aux autres je donne l'apparence du contraire. Les (inexistants) lecteurs fidèles reconnaissent bien là un signe d'anomalie mentale qui me caractérise.

Je déconne, mais je me retrouve réellement souvent (pas seulement au boulot) à conseiller aux gens de ne pas se culpabiliser, ne pas se sentir trop responsable, de laisser les choses se faire (ou ne pas se faire)... Alors que je suis proprement incapable de penser de cette façon pour moi-même (en général du moins). Pourtant ça marche vraiment, j'ai parfois des amis qui me demandent mon avis rien que pour ça, c'est dingue non ?

"Faites ce que je dis, pas ce que je fais"... Ce n'est pas moralement acceptable. Alors j'ai deux possibilités : soit j'arrête de dire aux gens de ne pas se sentir trop responsable, soit j'arrête moi-même de me sentir trop responsable.

Ça va certainement être long et difficile... mais j'aime trop "déscrupuliser" les gens pour arrêter de le faire.