Mon fantôme
Par Ermo le jeudi 4 janvier 2007, 23h25 - Courage bonhomme - Lien permanent
Me sens pas terrible ce soir. Une petite angoisse sournoise qui s'invite. Je ne l'ai pas vue arriver et tout à coup elle est là : je me demande ce qui ne va pas, pourquoi ce léger mal de ventre, pourquoi cette sensation de froid pas vraiment physique, pourquoi ce manque d'entrain soudain, et puis je ressens cette peur sourde, ce courant d'air, pourtant pas très fort, qui me vide doucement la tête. J'ai peur. Sans comprendre, je ressens le besoin de serrer une main, serrer très fort comme pour s'accrocher. Alors je reconnais le souvenir, tellement vivace malgré les nombreuses années qui m'en séparent aujourd'hui.
Chambre d'hôpital, médecins, infirmières, moi maintenu sur le lit. Miellogramme. C'est une méchante piqûre dans l'os, le but c'est de prendre un petit peu de moëlle osseuse. On me les avait toujours faites dans le bas du dos auparavant, mais cette fois ce devait être dans la poitrine, j'ignore pourquoi. J'étais donc allongé sur le dos, j'avais l'impression qu'ils allaient m'arracher le coeur. C'était au tout début de ma seconde grande hospitalisation, j'étais dans le service des adultes (je crois que c'est parce qu'ils n'avaient pas de bulle stérile disponible en pédiatrie, mais je ne suis pas sûr). Nouveau lieu, nouvelles personnes, nouvelles habitudes, et tout ça pas vraiment adapté au petit bonhomme que j'étais. Peur. "Courage !" disait toujours ma mère.
Les soignants n'étaient sans doute pas habitués aux enfants, ils ne semblaient pas comprendre que j'avais besoin de ma mère pour supporter cette épreuve. D'habitude elle me tenait la main, fort. Mais non, là elle n'avait même pas le droit d'être dans la chambre. Comme je demandais à tenir la main de ma mère, une des infirmières (ou aide-soignante, je ne sais pas) m'a proposé la sienne. Comme si je n'avais besoin que d'une main, n'importe laquelle. J'ai serré sa main, enveloppée dans un gant de caoutchouc. Je me souviens d'une bague ou d'une alliance, je me souviens avoir serré ses doigts très fort, je crois que c'était en partie pour lui faire mal.
Je me sentais tellement seul. Pour la première fois, j'avais l'impression d'être entouré d'étrangers, pas forcément des gens qui me veulent du mal, mais des gens totalement indifférents à moi. Pour la première fois, tout mon environnement m'a semblé vraiment sinistre, mais au fond cet environnement englobait une grande partie de ma vie. Pour la première fois, j'ai soudain eu l'impression d'être étranger à moi-même, d'avoir assez de recul pour me voir me débattre dans cette petite vie fragile, presque dérisoire. Pour la première fois, je me suis senti vide, vide de moi-même, vide de mes envies, de mes angoisses, de mes joies, de mes souffrances. Pour la première fois, j'étais devenu indifférent à tout ce qui pouvait m'arriver, en bien ou en mal. Je m'en foutais.
J'ai très peu senti la piqûre.
Je venais de rencontrer une "sensation" qu'il vaut mieux ne jamais avoir connu. Je crois aujourd'hui que, pendant quelques instants, je n'avais plus eu envie de vivre. Pas envie de mourir, non, juste plus ce besoin existentiel, inconscient et totalement évident, qu'est le désir de vivre. Plus envie de me battre, plus envie d'être courageux, juste me laisser faire. Même si cela n'a pas duré très longtemps, j'avais définitivement "perdu" quelque chose ce jour là : à partir de cet instant, cette envie de vivre, qui est normalement ce qu'il y a de plus naturel, n'avait plus ce caractère parfaitement évident pour moi. C'est un peu comme si j'avais rencontré mon fantôme, c'est-à-dire celui que je serais si j'étais mort (ou que je serai quand je serai mort). Il m'a dit (et me dit encore quand je le croise) que la vie n'a pas tant d'importance que ça... "De poussière tu retourneras à la poussière", tout le monde le sait mais qui le ressent vraiment ? Maintenant je sais qu'il n'est pas loin, alors parfois il m'aide à relativiser les emmerdements, mais parfois il m'empêche de m'amuser sans arrière-pensée.
Toujours ce petit goût de solitude au fond de la bouche.
Et puis la peur, qui joue à me sauter dessus de temps en temps. Si possible quand je m'y attends le moins, c'est-à-dire quand je vais à peu près bien, sinon c'est pas marrant (tout le monde sait ça : pour réussir à effrayer sérieusement son prochain, il ne faut pas qu'il s'y attende).
A part ça, et pour revenir à des choses plus terre à terre (et même plus terre à terre tu meurs !) : en rentrant chez moi ce soir, j'ai marché dans une merde de chien. J'ai dû nettoyer ma godasse, et c'était très chiant à cause de ces saletés de rainures. Je déteste ça. C'est moyennement marrant, surtout pour moi, mais les petits désagréments de la vie en font mieux apprécier les bons moments, pas vrai ?
Commentaires
JE SUIS TOUCHEES AU PLUS AU POINT PAR TON TEMOIGNAGE
QUEL COURRAGE ET FORCE
SI SEULEMENT JE POUVAI ETRE COMME TOI
Merci mais je pense que tu te trompes un peu : d'abord je ne souhaite à personne d'être comme moi, c'est pas vraiment une bonne idée !
Mais surtout sur cette question du courage : en fait ceci n'en est pas vraiment, parce que je n'avais pas le choix. Lorsqu'on s'imagine dans une situation très dure qu'on n'a jamais vécue, on se croit souvent incapable d'être "fort", on croit qu'on ne peut pas la supporter. Mais l'être humain est fait pour s'adapter, y compris aux pires situations. Et en fait on est capable de supporter bien plus que ce qu'on croit.
(le problème c'est que ça laisse des traces, de mon point de vue).
ah, et tu te trompes un peu aussi avec l'orthographe, mais c'est pas bien grave ;-)
Salut,je me demande quel age tu peus avoir,mais ce n'est pas cela n'est pas primordial!Ce qui me parait plus important c'est:depuis combien de temps as tu ce genres d'exam pas cool.
Moi j'ai reussi a eviter ce pu......
de miellogramme pendant quelques mois,mais vu que j'ai eu droit a la P.L il y a une semaine!
Voila,je ne te dirais pas "courage"mais plutot certains ont de mauvais moments a passer,c'est pour la vie.Au moins nous sommes en vie.
BY.A.
salut,
en fait c'est peut-être pas super clair dans ce que j'avais écrit ici mais il ne s'agit que de souvenirs assez anciens : j'avais une dizaine d'années à l'époque, et j'approche de la trentaine maintenant...
donc ce ne sont pour moi que de mauvais souvenirs, et puis on peut espérer que les techniques médicales se sont un peu amélioré depuis.
Oui, ce n'est qu'un mauvais moment à passer : si ça doit être fait, il n'y a pas à se poser de question, donc il n'y a pas à s'en inquiéter à l'avance. La douleur physique ne doit pas faire (trop) peur, car parfois la peur est pire que la douleur en elle-même.
Salut,si tu te souviens si bien d'un truc qui s'est passer vingt ans plus tot,soit ta peure a ete trés forte ce que je peus comprendre un miellogramme quand on a dix ans,soit la douleur etait aussi au rendez vous.
En tous cas en ce qui concerne les hostos ou la medecine je dirais qu'au lieu de progresser ils ont plutot regresser,maintenant en plus de la douleure et la peure vu l'indifference ou le mepris des toubibs,en plus tu as une chance sur 100 de resortir avec une saloperie que tu n'avais pas en arrivant.J'ai eue un miellogramme il y a quelques jours,comme par hazard cela s'est mal passer donc il faut en refaire un!Mais il est vrai que souvent l'aprehension est plus dur que lexam lui meme,bien que cela fait quant meme super mal.Comme j'ai déja dis que l'on ai mal ou soit super bien prouve que nous sommes vivant
hello,
je comprends tes doutes sur les médecins, mais à mon humble avis il faut faire attention à ne pas les considérer comme des "ennemis", même si on est forcément un peu tenté de le faire (en pratique c'est vrai que c'est eux qui infligent des traitements douloureux !). Ils font leur boulot et il vaut mieux se sentir en confiance avec eux, le reste est déjà assez dur comme ça. Ils peuvent avoir tendance à ignorer la personne pour ne s'intéresser qu'à la maladie, mais il faut leur rappeler qu'on existe, en posant des questions ou même en leur disant ce qu'on leur reproche : c'est aussi leur boulot de répondre aux patients !
personnellement, avec le recul, ce que je regrette le plus c'est que l'aspect psychologique n'était pas du tout pris en compte. C'est sans doute en partie ce qui explique que je dois en supporter quelques conséquences encore aujourd'hui. peut-être que c'est seulement lié à moi, mais d'après mon expérience j'ai envie de dire qu'il ne faut pas hésiter à en parler, au minimum à des proches, mais aussi si on en ressent le besoin à des professionnels, c'est-à-dire à un psy. Je sais que ça peut faire un peu bizarre d'entendre ça : on se dit que c'est un problème corporel grave, et que ce qui se passe dans la tête n'a rien à voir... Mais le moral est évidemment très très important, et je crois qu'essayer de gérer ce type de problème le plus tôt possible ne peut pas faire de mal.