Ces derniers jours j'ai donc aidé ma mère à répondre à cette lettre de sanction, qui s'avère très contestable sur la forme comme sur le fond. Sommairement, on lui reproche quelques erreurs, la plupart ayant une explication parfaitement recevable et n'étant donc pas de vraies erreurs, les autres étant carrément inventées ; le manque de communication, notion très floue et franchement hypocrite puisqu'on ne le lui a jamais signalé auparavant ("problème de communication", vous dites ?) ; et un reproche, réel celui-ci, sur le fait qu'elle déborde largement de ses horaires de travail (en d'autres termes elle fait des heures sup', sachant que jusqu'ici elle n'en a jamais demandé le paiement et n'a donc jamais été payée pour ça !). Tout cela enveloppé dans une bonne dose de mauvaise foi, d'approximation et d'hypocrisie (du genre "vous devez réagir rapidement pour restaurer la confiance perdue", etc).

Il faut savoir que ma mère est extrêmement scrupuleuse. Elle a toujours peur de se tromper, de ne pas savoir faire, d'avoir oublié, etc. Donc elle passe beaucoup de temps à faire les choses le plus correctement possible, et à vérifier dix fois que tout est bien fait. Par conséquent, lorsque je lis dans cette lettre de sanction qu'on lui reproche d'avoir mal fait ou pas fait certaines tâches, je rigole : qu'on me dise qu'elle y passe trop de temps, ça oui ; à la rigueur, qu'il y ait des problèmes de communication parce qu'elle ne s'exprime pas très clairement à l'écrit, admettons. Mais prétendre qu'elle fait son boulot de travers, c'est de toute évidence un mensonge éhonté. Ce qui me permets à moi de n'avoir aucun doute sur la mauvaise foi de ses supérieurs, et donc d'être assez motivé pour leur en faire baver.

S'ils s'imaginaient qu'elle allait gentiment s'écraser et se laisser virer sans réagir, ils vont être déçus. Nous leur avons concocté une réponse salement détaillée de 4 ou 5 pages, avec quelques allusions pas du tout involontaires à certains procédés peu respectueux du droit des salariés. Pas de bol monsieur le directeur, tu ne savais pas à qui tu as affaire : comme tout le monde je n'apprécie pas qu'on s'attaque à ma mère, surtout à tort ! Et malheureusement pour toi, j'ai un certain don pour traquer la petite bête, et je ne suis pas trop mauvais dans les batailles d'arguments.

Après avoir enfin terminé cette trop longue lettre, j'étais assez content de moi : je crois qu'il va vraiment faire la tronche en la recevant, le chef. D'abord parce qu'elle ne se laisse pas faire, ensuite parce qu'elle envoie balader la plupart de ses arguments (et même en faisant preuve d'un sens du détail peu compatible avec les reproches indiqués), aussi parce qu'elle renvoie discrètement chacun à ses responsabilités pas toujours assumées, et enfin, cerise sur le gâteau, parce qu'elle montre qu'elle (en fait ça c'est seulement moi) sait aussi manier l'hypocrisie et la roublardise si nécessaire, preuve qu'elle n'est pas dupe de la manoeuvre. Tiens, j'étais content de pouvoir être méchant avec cet imbécile. Quand je m'y mets, je suis impitoyable : même sans avoir les avoir utilisés, il y a des mots qui vont s'allumer pour clignoter en rouge dans sa tête (comme "harcèlement moral", "syndicat", "prudhommes").

Ma mère est trop gentille, elle n'a jamais de rancune envers quiconque. Je suis là pour en avoir à sa place...