Croise mon reflet dans la glace. Détourne les yeux. Veux pas voir ce gosse effrayé. Veux pas me voir pleurer. J'ai si peur. Je n'ai pas peur de mourir, j'ai peur de vivre seul.

C'est con quand-même. Quand on a vécu une épreuve aussi dure, qu'on a eu à se battre pour survivre, on est obligé de se trouver une raison de vivre. C'était ma famille, tout simplement. Elle n'était pas parfaite mais je ne connaissais rien d'autre, alors j'y étais bien. Quand j'ai enfin compris que je devais passer à autre chose, je n'avais plus de raison de vivre : vécu trop longtemps avec celle-ci, profondément ancrée par les épreuves traversées.

Comme par hasard, après j'ai trouvé ma psy très mignonne. Pourtant elle était pas mon genre. Classique. Puis ensuite j'ai été amoureux d'une fille charmante. Je le suis toujours d'ailleurs. Je sais bien que c'est en partie pour de mauvaises raisons, et alors ? Mieux vaut être amoureux pour de mauvaises raisons que pas du tout.

Soyons honnête : j'ai toujours su que c'était ça, ma raison de vivre. Pourtant ça m'aurait simplifié la vie, si j'avais pu par exemple tout miser sur la carrière professionnelle. Y a pas plus banal : trouver une gentille fille (dans ma tête je dis souvent "une fille qui veut bien de moi", mais il paraît que je me dévalorise trop), avoir des enfants. Franchement y a jamais que quelques milliards d'andouilles qui font ça sans se poser de question.

Que ce soit celle-ci ou une autre, j'ai encore assez de recul pour savoir qu'au fond on s'en fout. Même si j'avais pas été aussi accro depuis le lycée. Le problème n'est pas là, le problème est chez moi : tant que je ne m'aimerai pas assez pour croire mériter d'être aimé, ça ne marchera pas. Or pour m'accorder un minimum d'estime il faudrait que j'arrive à entendre celle qu'on me porte. "on", les autres, je suppose. Peut-être que j'ai attendu trop longtemps que mon paternel m'en accorde un petit bout, d'estime. Peut-être que c'est pour ça que j'écoute pas bien. J'ai l'impression d'être mort pour lui lorsque j'étais malade. Du coup pour moi aussi, un peu. Dommage, bonhomme.

Oh rassurez-vous je vais pas me flinguer. J'en ai connu d'autres et des pires. Le suicide ne m'a jamais vraiment intéressé. D'abord parce que mon père l'a tenté et que ça me ferait mal au cul de faire pareil que lui. Surtout parce que j'en ai pas chié jusque là pour abandonner maintenant, merde alors.

Un mauvais moment à passer, c'est tout. Ce n'est pas ça qui m'inquiète, ce qui m'inquiète c'est que je ne sais pas quoi faire pour avancer. Ou peut-être que je le sais un peu. Ou peut-être pas. En fait je ne sais pas si je le sais. Mais bon je vais continuer. Que pourrais-je faire d'autre ?